La propagation du VIH/sida en région MENA est critique, particulièrement chez les populations vulnérables. L’accès aux services de dépistage et de soins y est limité et les politiques nationales inadaptées voire insuffisantes pour juguler l’épidémie. La région manque d’un système de veille communautaire pour mieux comprendre les besoins et y répondre efficacement. C’est là tout l’enjeu du programme FORSS, lancé en juin 2018 par Solidarité Sida et ITPC-MENA, en partenariat avec 5 associations locales.
La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) est composée de 23 pays, avec chacun ses spécificités sur les plans démographique, culturel, religieux et socio-économique. Des similarités caractérisent néanmoins leur profil épidémiologique. Bien que les taux de prévalence du VIH comptent parmi les plus bas au monde (0,1%), la propagation du virus au cours des deux dernières décennies y est préoccupante. Entre 2010 et 2020, la région MENA connaît une augmentation de 7% des infections au VIH à l’inverse des tendances observées dans le reste du monde, et possède la couverture en traitement antirétroviral la plus faible du monde, avec 43% en 2020. En cause essentiellement, un accès limité aux services de prévention, aux soins et aux traitements.
Entre 2018 et 2022, les 4 observatoires communautaires (Égypte, Mauritanie, Tunisie, Maroc) ont révélé de faibles moyens de prévention, un manque d’éducation thérapeutique (particulièrement en Mauritanie), une difficulté d’accès géographique aux centres de soins (dans les 4 pays), ou encore des phénomènes de stigmatisations et discriminations (perçues ou vécues) du fait du genre, de l’orientation sexuelle et/ou du statut sérologique.
Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), travailleur·se·s du sexe (TS) ou encore personnes usager·ère·s de drogues injectables (UDI) : l’épidémie est particulièrement concentrée au sein des populations vulnérables. Au Liban par exemple, près de 3 HSH sur 10 seraient porteurs du virus. Au quotidien, face à un environnement législatif et juridique défavorable, ces populations sont contraintes de mener un double combat contre le virus et contre les discriminations. Dans de nombreux pays de la région, les rapports entre personnes de même sexe et la consommation de drogues sont passibles de lourdes peines de prison, voire de condamnations à mort. Cette pénalisation explique que les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) – et plus généralement les populations dites “à risque” – par peur d’être stigmatisées, restent trop souvent éloignées des services de prévention, de dépistage et des traitements.
L’épidémie étant concentrée dans une partie restreinte de la population, la lutte contre VIH/sida est insuffisamment considérée comme une priorité de santé publique pour les décideur·e·s de nombreux pays de la région. Le taux de couverture des services y demeure très faible et les barrières à l’accès à ces services ne sont pas toujours identifiées. Les bailleurs internationaux viennent en partie combler ces lacunes. Mais les financements en région MENA sont bien moindres que dans d’autres zones géographiques, où les taux de prévalence dans la population générale sont supérieurs, comme l’Afrique subsaharienne. Cette dépendance aux financements extérieurs pose la question de l’avenir des programmes de lutte contre le VIH/sida dans un contexte épidémiologique mondial instable, aujourd’hui caractérisé par d’autres priorités.
des PVVIH connaissant leur statut reçoivent un traitement..
De nouvelles contaminations au VIH sont concentrées parmi les populations les plus vulnérables.
Face à cette situation, il s’agissait de mobiliser la société civile, en particulier les acteurs communautaires, pour documenter les barrières à l’accès aux services de santé, identifier les leviers du changement et les impulser. Une ambition partagée par Othoman Mellouk, fondateur de ITPC-MENA et Florent Maréchal, Directeur des programmes à Solidarité Sida.
Othoman Mellouk : Les chiffres sur l’évolution des contaminations et des décès liés au VIH en région MENA sont alarmants. Or, la mobilisation internationale et les politiques nationales ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. À ITPC-MENA, nous connaissions depuis longtemps Solidarité Sida, de par notre présence régulière au festival Solidays mais aussi à travers les projets que l’association développait dans la région. Nous avons une grande expertise en plaidoyer, notamment sur les questions d’accès aux traitements, ainsi qu’un réseau historique de partenaires dans la région. De par son expérience en appui technique aux associations, Solidarité Sida pouvait nous aider à mettre en cohérence toutes les actions que nous menions déjà. Pourquoi pas dès lors construire un projet ensemble ? En nous associant à Solidarité Sida, l’idée était aussi de sensibiliser les organisations européennes à l’urgence de travailler dans la région.
Florent Maréchal : Un point qui ressort souvent de nos échanges avec les associations de la région est le manque de données qualitatives fiables au sujet de l’accès, la qualité et la disponibilité des services de prévention, de dépistage et de soins. Et quand ces données existent, on observe un décalage entre les recommandations et textes de référence (nationaux et internationaux) et les pratiques réelles dans les centres de santé. Aujourd’hui, il faut pouvoir documenter avec précision toutes les barrières d’accès aux soins, via une collecte des données à la source, auprès des communautés. C’est vraiment la colonne vertébrale sur laquelle on a construit le projet. Ces données nous aideront à nourrir un plaidoyer efficace pour la révision des stratégies de lutte contre le VIH/sida dans la région MENA, tant sur le plan légal vis-à-vis des populations clés, que sur le plan médical pour l’ensemble des personnes vivant avec le VIH. Nos observatoires constituant un outil complémentaire de la veille sanitaire des États, ils leur seront donc très utiles. Il s’agit également de rendre ces données accessibles aux acteurs internationaux, comme outils d’aide à la décision, en vue d’investissements renforcés dans la région.
Florent Maréchal : La société civile est la seule à pouvoir toucher les populations clés. En, effet, ces populations souvent « cachées » fréquentent peu les organismes de santé publique, par peur d’y être discriminées. La société civile locale, et plus particulièrement les acteurs communautaires, a toute sa légitimité auprès de ces populations mais aussi face aux États. Elle a un rôle de veille et de conseil important et efficace, complémentaire de celui des bailleurs internationaux auprès des gouvernements locaux. C’est vraiment une autre modalité, avec de nouvelles méthodes d’intervention et les défis qui vont avec. On reste convaincu·e·s qu’il est indispensable de pouvoir travailler avec des associations jeunes, qui ont de l’énergie à revendre et qui connaissent les publics et le terrain mieux que personne.
Othoman Mellouk : À ITPC-MENA, on se sent très en phase avec l’approche de Solidarité Sida, de faire “avec” et non “à la place de”. Nous partageons ce rôle d’accompagnement technique et financier de nos partenaires. Dans le choix des associations, on a eu à cœur d’avoir un chef de file par population vulnérable. Et parmi celles avec lesquelles on travaillait depuis des années, nous avons voulu contribuer à faire émerger les plus petites plutôt que les acteurs historiques qui captent l’essentiel des appuis et ressources. Nos cinq partenaires fonctionnent avec peu de moyens mais une motivation de fer et des alliances solides, dans des contextes souvent difficiles. Avec ce projet, nous avons pour ambition d’en faire des acteurs plus structurés, reconnus et efficaces dans leur rôle de veille communautaire et de plaidoyer.